Crédit: Ayoub Benkarroum

Entretien avec Adam Moussa, un immigré tchadien qui a traversé la mer pour vivre en France

L’idée de l’aventure ou de l’eldorado n’a jamais été le rêve de la plupart des jeunes tchadiens. Malheureusement, avec la gestion chaotique du pays par le MPS (Mouvement Patriotique du Salut), les jeunes n’ont pas trouvé d’autre alternative que de tenter l’aventure. Malgré l‘exploitation pétrolière, le Tchad recule dans tous les domaines, créant ainsi un désespoir total parmi la jeunesse. Le MPS a été acclamé par des nombreux tchadiens à son arrivée en 1990 pour avoir chassé l’ancien dictateur tchadien Hisseine Habré, mais cet espoir est devenu aujourd’hui un vieux souvenir pour la majorité des tchadiens.

Pour Adam Moussa, c’est le manque d’opportunités et d’espoir qui l’a poussé a quitté le Tchad pour se retrouver finalement en Europe. Passant par la Lybie, il a traversé la Méditerranée sur un bateau de fortune pour arriver clandestinement en France.

Présentez-vous, Adam Moussa !

Je suis né et grandi à Aboudeya, une petite ville dans la région d’Amtiman, au sud-est du Tchad. J’ai abandonné l’école, car mes parents ne sont pas motivés par l’éducation et aucun membre de ma famille n’a obtenu son Baccalauréat. Je n’ai même pas eu la chance de terminer l’école coranique. Mes parents sont agriculteurs, c’est leur principale activité, mais cela ne leur suffit pas à subvenir à leurs besoins. Pendant la saison de pluies, je cultive mon champ et j’aide également mes parents dans les leurs, mais pendant la saison sèche, je me rends dans la ville d’Amtiman pour exercer de petits métiers afin de subvenir aux besoins de ma famille et des miens.

Parlez-nous de votre arrivée en Lybie.

Tout d’abord, j’ai commencé à économiser pendant six mois avant mon départ pour la Lybie. Ensuite j’ai informé mes parents de mon projet. Au début, ils n’étaient pas d’accord et je les ai finalement convaincus et ils ont accepté. J’ai quitté au mois de Janvier 2018 et je me suis retrouvé deux semaines plus tard à Sebha, en Lybie. C’était la première fois que je voyais le désert tchadien.

Que s’est-il s’est passé après votre arrivée en Lybie ?

Mon projet initial était simplement de venir travailler en Lybie, d’économiser de l’argent et de rentrer dans mon pays pour me lancer dans le commerce. Je n’avais aucune idée de l’Europe ni de la traversée de la mer. A mon arrivée, j’ai été accueilli par un ami qui était là-bas depuis un moment. Il m’a aidé à trouver du travail en tant qu’ouvrier dans la construction des bâtiments dans la ville de Misrata. Sur le chantier où je travaillais, j’ai rencontré des Soudanais et des Tchadiens qui ont eu une grande influence sur ma vie. Chaque fois que nous discutions, ils nous parlaient de l’Europe et de la traversée de la mer. Finalement ils ont suscité en moi de grands rêves et j’ai décidé d’économiser de l’argent pour payer un passeur au lieu de rentrer chez moi comme prévu initialement.

Après quelques mois de travail, j’ai économisé l’argent nécessaire pour payer un passeur, mais malheureusement, le passeur a fui avec l’argent. Nous étions une dizaine à avoir été escroqués.

J’ai rassemblé la somme nécessaire une deuxième fois, j’ai payé un autre passeur, le rendez-vous était fixé, mais malheureusement, nous avons été interceptés à moins de 3 kilomètres de la côte par la marine libyenne. Nous avons été emprisonnés et avons même subi des actes de torture. J’ai passé un mois en prison avant d’être relâché. J’étais tellement obsédé que j’ai décidé de retenter une troisième fois, et cette fois-ci ça a marché. Nous avons été secourus par une ONG près de la côte italienne, en Avril 2019.

Et comment s’est passé votre séjour en Italie ?

Je pensais que ma vie allait changer en arrivant en Italie, mais c’était le début d’un calvaire. Ils nous ont installés dans un camp de migrants où se trouvaient des milliers de migrants venus de Libye. La vie n’était pas facile, alors avec quelques amis, nous avons décidé de tenter notre chance en France. Nous avons essayé de traverser la frontière à trois reprises sans succès, mais à la quatrième tentative, nous sommes finalement arrivés en France.

Camp de migrants. Crédit : Iwaria

Que retenez-vous de vos premiers mois en France ? Étiez-vous intégré ?

Je suis arrivé en France en octobre 2019. J’ai déposé une demande d’asile à Paris où je réside. Je dormais dans la rue, les gares, les métros, etc. N’ayant pas le droit de travailler, je passais mes journées à me promener dans les rues, à monter et descendre du métro. Je prenais mes repas et ma douche dans les différents centres réservés aux demandeurs d’asiles sans abri.

« Certains de mes amis qui ont également vu leur demande d’asile rejetée ont pratiquement perdu leur santé mentale. »

Après quelques mois, j’ai été entendu par l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides), qui a ensuite rejeté ma demande d’asile. J’ai fait appel devant la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) qui a également rejeté ma demande d’asile. Actuellement, je suis un sans papier qui a perdu tout espoir, et cela me rend triste. Ce qui est encore pire, c’est que certains de mes amis qui ont également vu leur demande d’asile rejetée ont pratiquement perdu leur santé mentale.

Qu’aimeriez-vous ajouter en conclusion ?

Je regrette amèrement cette aventure, compte tenu de tout le chemin parcouru et des sacrifices que j’ai fait. Je déconseille à quiconque de tenter l’aventure par la Libye et de ne pas se fier à tout ce qui est raconté.

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Auteur·e

saddamiyoune

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